La nouvelle route du littoral à la Réunion

Dans le journal Libération d’aujourd’hui on pourra lire un article sur la nouvelle route du littoral (NRL pour les intimes), chantier pharaonique et particulièrement coûteux en cours sur l’île de la Réunion. Elle est destinée à remplacer la route actuelle du littoral (ou route en corniche) considérée comme dangereuse car placée en bord de falaise et soumise régulièrement à des chutes de pierre et à la houle dévastatrice de l’océan Indien.

La nouvelle route du littoral et la route actuelle du littoral, prise du chemin des anglais

On lira dans l’article que le chantier outre avoir explosé les coûts prévisionnels est en panne sèche de cailloux, au point qu’il n’est pas possible aujourd’hui de finaliser le chantier.

La fin actuelle de la route (août 2019) avec en fond, la ville du Port.

On s’étonne encore de ce choix technique qui engloutit les finances de la région Réunion et pas seulement. En effet, bien que le taux d’équipement en véhicule reste inférieur à celui de la métropole, l’île subit un phénomène de congestion du trafic qui n’a absolument rien à envier aux bouchons marseillais ou de la région parisienne. Il est assez commun de faire plusieurs heures par jour de transport pour quelques dizaines de kilomètres, en particulier quand on doit passer par la route du littoral qui est totalement saturée une grande partie de la journée. Dans le même temps, les transports en commun ne représentent aucunement une alternative crédible car ils sont également pris dans le trafic, ils ne représentent que 5% des déplacements contre 15% en métropole et leur part stagne depuis des années.

Ce ne fut pas toujours le cas, pendant près d’un siècle de 1878 à 1976 l’île était desservie sur une grande partie de son périmètre par une ligne de chemin de fer qui suivait le littoral avec des gares dans chacune des villes du pourtour réunionnais. Les plus anciens se souviennent encore avec une certaine nostalgie de ce petit train lontan’ dont les ouvrages d’art parsèment encore les paysages de l’île sur la forme de tunnels et de ponts.

Locomotive du petit train lontan’ stationnée à la gare de la Grande Chaloupe

Du centre de l’île, et en périphérie du littoral, les réunionnais ralliaient les gares en utilisant les cars « courant d’air » qui étaient des bus bricolés localement sur des châssis de camion.

Le car courant d’air sur châssis Citroën du musée de Stella Matutina

La politique de la voiture triomphante à partir des années 60 et le développement économique effréné de l’île ont mis fin à ces moyens écologiques avant l’heure dans les années 70.

Les problèmes de congestion et la dangerosité de la route (19 morts depuis son ouverture dans les années 60) ont poussé les pouvoirs politiques à chercher des solutions. Face à cette situation après des décennies de débats et d’atermoiements, le conseil régional de la Réunion décide enfin en 2008 de lancer le projet du tram-train qui s’inscrit dans une pleine démarche de développement durable, projet soutenu par le Grenelle de l’environnement de 2007. Le financement est bouclé, un marché de partenariat public privé signé avec la société Tram’Tiss soutenue par des grands groupes, les premières expropriations ont lieu dans la foulée pour construire la gare sur Saint Denis. Contre tout attente, au changement de majorité en 2010 du conseil régional qui passe de la gauche à la droite, le projet est purement et simplement abandonné pour un projet totalement contre l’air du temps puisqu’il s’agit de construire une nouvelle route du littoral (NRL) sur la mer montée sur pilotis. C’est un signal fort pour persévérer dans le choix du tout voiture et pour encourager les réunionnais à poursuivre leur rattrapage de l’équipement des ménages en véhicule vis à vis de la métropole (70 % contre 80%). Ce projet lancé dans la précipitation comme pour mieux faire diversion à la polémique née de l’abandon du projet tram-train accumule depuis les difficultés, les retards et les surcoûts et les atteintes à l’environnement qu’on semble découvrir au fil du chantier. Pourtant bien des années avant, la Commission Nationale de la Protection de la Nature (CNPN), organisme gouvernemental rattaché au ministère de l’Écologie avait donné un avis défavorable sur lequel tous les décideurs se sont assis. Pour couronner le tout, des soupçons de corruption et de favoritisme ont déclenché l’ouverture d’une enquête judiciaire qui est toujours en cours.

Le pouvoir politique local est maintenant dans une situation de fuite en avant, il n’a plus moyen de faire arrière et doit aller au bout de sa démarche. Très légère consolation, le tablier de la route est prévu pour pouvoir y faire circuler un tramway, tout n’est donc pas perdu pour mettre fin aux sempiternels bouchons réunionnais, mais à quel prix !

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